Mon école, tout en haut de la rue des jardiniers, possédait, comme beaucoup d’écoles primaires à l’époque, une salle immense avec une estrade et de gros rideaux épais. Ce lieu incroyable servait essentiellement à accueillir les remises de diplômes, et spectacles de fin d’année. On y rencontrait des enfants de toutes sortes. Des diplômés d’honneur, d’autres d’excellence, d’autres encore dont la quantité de bons points n’avait pas été suffisante à les propulser sur l’estrade sous le regard émerveillé de leur famille.
De gros livres lourds et épais faisaient office de récompenses. Cette salle, dont l’entrée était interdite aux élèves en dehors des dates fatidiques, cachait un trésor. Pour l’avoir déjà approché, nous étions trois à en connaître l’existence. Je crois pouvoir me vanter aujourd’hui, d’être à l’origine de cette fabuleuse découverte. Des moments inoubliables puisqu’ils sont les seuls à m’avoir fait apprécier l’école, avant d’en changer, une fois, deux fois, trois fois… Et d’attendre que ça passe.
Je ne me souviens plus précisément des circonstances qui m’ont envoyé sous l’estrade de la grande salle, par contre je conserve en mémoire ces prodigieuses visions de malles couvertes de poussière, pleines à craquer de costumes de toutes sortes, les décors de théâtre empilés dans du papier journal grossièrement ficelé et surtout, le vieux piano désaccordé, à moitié cassé. C’était une caverne d’Ali baba ! Comment, adulte, peut on autoriser un enfant de cet âge à y entrer en lui interdisant de toucher, d’ouvrir et de regarder ?
Un surveillant m’avait désigné pour lui ramener un objet posé à un endroit précis, où la saleté et la poussière mêlées, l’embarrassaient trop pour y aller lui-même.
La monstruosité des « grands » est parfois sans limites.
En guise de vengeance, pour n’avoir pas été admis à explorer « la caverne », la petite porte en bois, qui en autorisait l’accès, fut intentionnellement coincée avant sa fermeture, de telle sorte que l’on puisse y revenir à l’insu de tous ceux qui en interdisait l’entrée.
Dès lors, peu de récréations furent passées dans la cour ou sous le préau. Profitant d’un court instant d’inattention, je courais, en me faufilant entre les regards des censeurs plantés aux quatre coins de l’établissement. Une fois ce trajet bien rodé, il ne me restait plus qu’à trouver un ou deux comparses avec qui partager ce pied de nez au monde des adultes.
Les lieux, les distances, l’orientation, furent soigneusement reproduits sous forme de plan détaillé, sur lequel on pouvait lire, en nombre de pas et de pieds, la distance qui séparait la cour de l’estrade, les points à haut risque, et, bien sûr, les mots de passe qui servaient à la reconnaissance.
Tout cela était empreint de frissons, de sueur, et si aucun danger n’était apparent, nous les inventions. Bref, je vécus dans l’angoisse et l’héroïsme pendant, au moins, deux ans.
Extrait du "Maître du monde"...