Les bateaux reposent, la nuit s’achève. La feuille d’or qui habille la houle, la colore de reflets orangés. Tout est calme malgré le jour déjà levé. Autour du port, les arbres dressés vers le soleil de cuivre semblent se réveiller. L'animation renaîtra bientôt, les commerces, la vie recommenceront leurs inlassables mouvements. Un jour nouveau est né.

Dans la fosse d’orchestre se mélangent des sacs, des seaux et du charbon. La symphonie pour tons bruns, bistre et gris commence. Installez-vous et regardez. C’est dans un coin perdu de campagne champenoise encombré de désordre et de tout venant. Le charbonnier termine son ouvrage et malgré ses 75 ans révolus, les fumées ne l’ont jamais gêné.  Il aime son métier, le charbon de bois a nourri sa vie. Vous êtes maintenant dans son univers, son terroir, chez lui. Vous êtes ici chez vous, soyez les bienvenus.

Ça n’allait pas fort ce jour là. Je venais de me faire larguer en fait. Mais surtout sans trop savoir pourquoi. Sans explications, sans discussions ; juste une lettre comme dans les mauvais films. « Je te quitte, nous ne sommes pas faits pour vivre ensemble, gnagnagni, gnagnagna… ». Je dois être moche dehors ou dedans, je sais pas trop. Ou alors un bon à rien sans doute. Que ce soit les femmes ou le reste, rien ne dure, rien n’accroche. Toujours cette impression de bien faire pourtant, d’aller dans le bon sens, de penser aux autres et puis au final, rien ; ni je t’aime, ni merci. Allez, juste une étape avant de recommencer autre chose de mieux, peut être ? Voilà, ma dernière vision du monde. Faut dire que 9 étages, ça pardonne pas. 

Le dépouillement, le dénuement peuvent être synonymes de simplicité. Le chœur d’une église, un ciel d’été ou un verre d’eau. Ce qui est simple est souvent défini comme beau ou bon. Ce qui reviendrait à dire que le complexe est laid ou mauvais ? Non, bien sûr ce qui est difficile n’est pas vilain mais juste incompréhensible au premier regard. Il faut déchiffrer pour saisir le sens, pour comprendre. La simplicité, elle, est évidente car elle est nue, privée de tout détail, de tours et de détours… Souvent lorsqu’on prend du recul, que l’on éloigne son regard jusqu’à ne plus distinguer qu’une masse, un ensemble, alors on voit le simple, le fondamental. Plus on s’approche et plus ça devient difficile et détaillé. En fait le complexe serait le cœur de la simplicité ? La complexité serait…simplement ardue.

Voilà, tu es piégé. A compter de cet instant précis tu as plongé dans les yeux de Michèle. Plus rien, jamais, ne pourra te faire oublier ce regard légèrement pudique et pourtant inquisiteur. Il te questionne, te réclame peut être. Il est pâle mais volontaire. Il n’est ni raisonnable, ni impertinent. Ce regard est disponible et serein car il sait qu’il te tient. Elle n’a plus qu’à conclure d’un sourire et tu ne pourras t’empêcher, comme toutes ses proies, de te prendre dans sa toile en relevant la voilette.

Michèle était rose, Michèle était bonbon. Son sourire était rose mais ses yeux bleus acier. Elle aimait poser, se changer, essayer. Sur le parquet de chêne, pieds nus ou talons haut, elle mariait le rose, le bleu, le froid, le chaud. Collier assorti, chapeau dépareillé elle prenait la lumière en plein cœur de Paris. Chez elle ou bien ailleurs ce que Michèle aimait je le lui saisissais. Une attitude, un regard, une pose ou un sourire, j’étais miroir elle était rose, Michèle était sucrée, elle me rendait gourmand.

Au loin, la brume comme du coton. Un voile de filasse grise insaisissable estompe les couleurs. Même les cris des mouettes sont étouffés. Le brouillard danse et remue, éphémère et fugace, au rythme lent de l’océan. Il est juste délicatement posé sur la ville et le port, comme s’il voulait en cacher l’essentiel. Puis comme un rideau qui s’ouvre sur une scène il révèlera ses secrets, ses fresques, dans la matinée, un peu plus tard peut être ; c’est lui qui décide.

Un vieux rêve. Voler, survoler le monde. S’arracher de la terre et sentir ses poumons se gonfler d’air et de vent. Se sentir libre. Planer, descendre et profiter des courants, libre de tous codes et contraintes de déplacement. Se laisser porter, caresser par le souffle du ciel. Nager dans la mer du firmament, plonger et frôler les nuages ; Pêcher les étoiles naissantes et s’élever, s’élever jusqu’à toucher les ailes de Jonathan, ivre d’acrobaties et de pirouettes, submergé de bonheur ; bref, voler quoi !!! 

Nous ne voulons pas d'un monde où la garantie de ne pas mourir de faim s'échange contre le risque de mourir d'ennui...

(Raoul Vaneigem)

Ce soir les grands feux commencent. Ils vont durer pendant deux semaines. Les fours vont monter en température jusqu’à 1000 ° et le maître des feux les alimentera jours et nuits sans relâche. Le charbon, le bois, tout est prêt ; le maître est imprégné de chaleur et de lumière. Dans les fours, des centaines de tuiles, de briques craquent et se rétractent sous les flammes. L’argile se durcit, se transforme et se colore. La terre est ainsi ; elle se nourrit du feu et s’embellit de rouge. La tuilerie est ancrée au sol, aux traditions ancestrales de l’époque ou la matière était noble et traitée avec respect. Dans la tuilerie, flotte cette odeur particulière de la terre et du bois, cette chaleur envahissante qui finit par vous engourdir. Mais ces parfums, ces couleurs chaudes, ces bruits de craquement du feu ne sont qu’un décor. Ce qui envoûte dans la tuilerie, c’est l’esprit. Le souffle gigantesque du travail accomplit avec perfection, acharnement et passion depuis des générations entières.