J’ai fait un rêve étrange cette nuit. J’étais dans une grande salle aseptisée, propre, bien rangée, ordonnée. J’éprouvais une sensation de malaise, comme si je n’étais pas chez moi, ou plutôt pas là où je devrais être. Puis, je traversai une bâche en plastique comme Orphée dans son miroir. Un autre chemin, d’autres lieux pourtant si proches. Au-delà de ce court voyage, je me retrouve au milieu de caisses et de bidons empilés, en vrac comme une salle aux trésors. Une multitude d’endroits à fouiller, à découvrir dans une lumière chaude et douce. Soudain je me sens à l’aise et bienheureux. Aucun classement, pas d’agencement, un endroit envahi par  les poussières du temps, la confusion et le désordre. Je suis bien, je suis chez moi, ou plutôt, là où je dois rester.

Vivement qu’un mec m’approche. Ils sont un peu cons heureusement. Y’a que mon cul qui les intéresse. Ah ah, s’ils savaient ! Allez viens mon grand, approche. Oui c’est ça caresse moi un peu, j’adore. Mmmhhh, t’es en forme toi hein ? T’as envie mon salaud ; allez vas-y prends moi. Yeahh, c’est bon ; l’amour, le soleil, la chaleur… Aaahhh ça fait un bien fou.

Tiens ça m’a donné faim tout ça ! Chéri ? t’es là ?...

Le chemin de promenade rampe à l’intérieur de l’abbaye comme un long squelette de pierres. Seuls les bruissements des robes et le glissement des sandales animent le défilé de prières. Je le sens entrer dans les veines des moines et remplacer leur sang par un puissant appel. Il serpente et se déplace à leur vitesse, prend son temps pour mieux les prendre, les envahir et s’emparer d’eux. Il se nourrit de leurs méditations, enfle et grossit pour s’approprier l’abbaye toute entière. Au dessus, sans rien voir, on sent comme une voûte immense qui filtre ce qui entre et restitue la prière. Le dôme respire régulièrement, puissamment en donnant vie éternelle au domaine.

L’oiseau prend son envol et va cueillir de la pointe de son bec un morceau de nuage. Il revient se poser sur la branche et le dépose sur une feuille, qui le goûte, le transmet aux racines qui abreuvent la terre. Les feuilles se tendent encore pour respirer le ciel mais rien n’y fait. Seul l’oiseau est capable d’unir les forêts aux nuages, de se nourrir des unes et caresser les autres. L’oiseau est un magicien qui sait parler aux nues et comprendre la terre car les mots sont les mêmes et leur langage lui appartient.

Jours de fête, jours de marché, c’est du pareil au même, le plaisir est identique, les parfums qui font saliver, la chaleur sucrée des stands de gaufres, la bonhomie attachante des forains, le regard émerveillé des enfants qui découvrent et s’amusent.
Le marché c’est la fête des courses. Tout est vivant, tout respire, les couleurs, les voix et les rires sont les mêmes. La fête c’est le marché des attractions, on compare, on hésite, on discute un peu et éventuellement on essaye. Ces instants là sont des instants privilégiés, des moments d’exception.

Je suis sorti par une porte dérobée restée ouverte. Personne autour, il faut faire vite. Je ne supporte plus ces barreaux, ils m’oppressent, j’ai de plus en plus de mal à respirer. Certes la lumière pénètre dans la pièce mais ce que vois dehors est plus beau. Des milliers de détails, d’ombres et de reflets. L’escalier tourne une fois, puis deux, puis trois, les marches en fer sonnent à chaque pas, il faut faire vite, tant pis pour le bruit. La précipitation me fait tourner la tête, je tombe au pied du mur, j’ai du mal à me relever ; le bruit a alerté les infirmiers… Pause… ma tête est vide... Je regarde autour de moi… Toutes ces ombres chinoises qui dansent sur les murs de ma chambre, ça me rend fou.

-Tu vois, je suis sûr que quelque chose existe là-haut. Même en vacances, je sens qu’elle est là, qu’elle me suit et me protège.
-Tu dis ça parce que tu mérites ; sinon, tu sentirais rien ni personne.
-Bof, je mérite pas plus que toi…
-Ben si, toi t’as un turban, moi j’ai une casquette ; vu de là-haut, ça fait une sacré différence quand même !
-Mouais…Mais ça on s’en fout. Ce qui compte c’est notre comportement, notre façon d’agir.
-Non, à mon avis notre comportement, ça ne l’intéresse pas.
-Pourquoi tu dis ça ? Tu ne crois pas qu’il y ait quelque chose faite d’amour et qui voit tout de là-haut ?
-Fait d’amour je ne sais pas, qui voit tout, je ne pense pas, mais qui vient de nous prendre en photo, ça c’est sûr !

Dormez tranquilles braves gens ! Dormez tranquilles ! La nuit est douce et calme. Vous reposez dans un écrin d’or et de paillettes. Dormez tranquilles ! Profitez de l’obscurité derrière vos murs compacts et vos rideaux épais. Criez, riez, chantez, la nuit est faite d’or et de paillettes. Laissez-vous porter dans l’autre monde, dormez tranquilles braves gens, profitez de la nuit douce et calme. Vagabondez tant qu’il est temps, dansez, mordez, croquez la nuit. Demain sera plus dur, sans or et sans paillettes, demain sera rude et enragé. Dormez tranquilles braves gens, dormez tranquille…

Comme une mouche qui volerait à l’envers
Comme une fleur qui pousserait sous la terre
Comme un coup droit frappé du revers
Un parfum d’été en plein hiver
Un jour normal, presqu’ordinaire
Rien n'est droit, tout va de travers...

On est arrivés en décapotable. Une anglaise avec le tableau de bord en bois précieux. Tu avais une capeline rouge habillée d’un ruban rose qui flottait au vent. Tu souriais en conduisant. Je ne pouvais pas décrocher mon regard de ton visage. Sur la petite banquette arrière, un panier en osier blond couvert d’un torchon à carreaux bleus et blancs. Seul le goulot de la bouteille de Pouilly fumé dépassait du panier. Tu connaissais un endroit couvert de mousse et de bruyère en mélange, baigné par un petit cours d’eau. Pour t’impressionner, j’ai voulu sauter le ruisseau comme dans un film d’action. Bien évidemment j’ai réussi et t’ai tendu la main que je n’ai plus lâchée. Nous nous sommes allongés malgré l’orage qui menaçait…