Les extra-terrestres
Nous sommes des extra-terrestres. Du moins c’est ce que nous croyions. Enfin, disons que nous avons tout fait pour, ou plutôt qu’on aurait bien aimé. Bref, ce soir-là nous nous sommes rassemblés autour de la lumière et nous avons fait un vœu. La lumière s’est envolée jusqu’à la fin de la nuit, de l’autre côté. Nos vœux ont dû quitter le clair-obscur et voyager avec la lumière puisque rien ne s’est réalisé… Allons, allons, dans ces situations l’important n’est-il pas de rêver ? Nous sommes de grands enfants, des extra-terrestres en somme.
Lumière et musique
La lumière fait voyager. Elle révèle. Impudique, elle n’a pas de territoire et ne craint rien ni personne. La musique aussi fait voyager. Elle irradie. Bien qu’elles ne voyagent pas à la même vitesse, elles se côtoient, s’enlacent, lumière mélodieuse et musique diaphane. Elles font d’ailleurs même plus que se fréquenter. Elles s’aiment et s’unissent dans un voluptueux vertige. Une ivresse sans fin. La musique illumine le regard.
En fait la lumière est la musique des yeux.
La statue de chair...
Le ciel menaçait, elle allait se lever pour trouver un abri, c’était évident ; il me fallait faire vite. Je me suis approché, assis à côté d’elle, elle ne regardait que moi. J’étais éperdu de sentiments amoureux. Sa droiture, son élégance, sa grâce personnifiée me subjuguait. Mais pourquoi restait-elle seule à longueur de journée ? N’y avait-il personne pour lui tenir compagnie ? Comment pouvait-on délaisser une telle beauté en plein cœur de la ville ? J’ai senti sa chaleur, j’ai ressenti son être ; pourtant mi femme mi déesse, mi femme mi enchanteresse, elle ne pouvait être aimée que du regard car le sien était inerte et son cœur était de pierre.
Mauvaises cartes
Elle ne date pas d’hier cette photo. Tu avais dix-huit, dix-neuf ans peut être, et moi une vingtaine à tout casser. Je viens de la retrouver dans une boîte à chapeau enfouit dans le grenier. Tu aimais bien porter des chapeaux, des casquettes ou des bérets. Tu les portais si bien. Un jour tu as essayé un foulard noué à la gitane et je t’ai dit : On dirait une diseuse de bonne aventure ! Alors tu t’es mise à fouiner dans le paranormal, l’inexplicable, l’étrange, voire l’obscur… Tu as lu dans les cartes que l’on ne se reverrait plus ; tu ne savais pas bien quand mais c’était inéluctable. Moi, je savais. C’était maintenant. Tu venais de trouver le subterfuge qui te permettait d’en finir sans donner trop d’explications ! Seules les cartes savaient. Chapeau ! Bien joué…
Mesure
Comment m’aimes-tu dit la mère à l’enfant ? Je t’aime grand comme ça répond-il en écartant les bras. La mesure est invention humaine. Il fait bon comparer, métrer et calibrer. Compter ses avoirs, arpenter son territoire ou jauger son pouvoir. On peut compter ses sous, calculer son épargne et mesurer sa vue. Évaluer son amour, soupeser mon chagrin, ou chiffrer le divorce. L’heure où l’on se lève et le temps que l’on dort, la quantité de rêves… Le volume que l’on boit, la surface habitable, la distance parcourue. Et au bout du compte : Combien de temps nous reste-t-il à vivre ?
Révolution
Un incendie s’est déclaré aux abords de la ville. Des coups de feu claquent de partout. Non ce n’est pas un incendie, c’est une rébellion… ça claque de plus en plus vite, ça pétarade de plus en plus fort, des cris s’élèvent. Ce n’est pas une rébellion, c’est une insurrection ! Des chants révolutionnaires montent dans la nuit, hostiles et puissants, ils appellent au massacre, à l’anéantissement de la classe dirigeante. Le bruit est infernal et cette odeur de poudre me prend à la gorge. Les chants semblent se rapprocher, le ciel s’illumine de toutes parts. Ce n’est pas une révolte, c'est l’anniversaire de la révolution, la vraie. Nous sommes le 14 juillet 2013, quelque part en Champagne…
Place Mathaux
De l’eau, de la lumière, du calme et un grand espace dans lequel le regard se perd entre l’ancien moulin et le vieux lavoir. Un endroit privilégié, propice à la rêverie, aux balades reposantes. La place Mathaux est souvent déserte, un lieu de passage tout au plus d’où les gamins s’exercent aux ricochets et au jeter de pain pour les canards, le dimanche surtout. Je traverse la place quatre fois par jour pour mes trajets vers l’usine et me rends très bien compte, lors de ces passages, d’être favorisé. Il y a vingt deux ans j’étais probablement dans le métro à cette heure là. Un profond soulagement me gagne et je sens un petit sourire s’esquisser au coin de ma bouche. Un court instant de bonheur.
Le musée
Une image est un décor qui vous entraîne vers une aventure. Une image doit « parler », une image doit pouvoir vous dire, ou plutôt, vous chuchoter : « Viens, approche et entre… ». Une image, c’est comme une musique, on s’en imprègne et contrairement à ce que l’on pourrait croire, on peut même la savourer les yeux fermés. Magique non ?